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Victor Vasarely, les lignes de son génie tracent l’avenir de la vision artistique.

Comment Vasarely est-il passé d’une vie sobre et raisonnable à une vie si mythique ?

Comment est-il passé des gagne-pains très lucratifs de la publicité à l’initiative la plus périlleuse et risquée qu’un artiste ait jamais conçue ?

Victor Vasarely est un plasticien tout à fait singulier dans l’histoire de l’art du XXème siècle. Accédant à la notoriété de son vivant, il se distingue dans l’art contemporain par la création d’une nouvelle tendance.

Il ne fut pas seulement après-guerre le père de lOp Art en France et à l’étranger, mais un intermédiaire parfait entre l’art cinétique de Alexander Calder, Jean Tinguely ou Marcel Duchamp, et le pop art de Andy Warhol.

Victor Vasarely ne fut pas seulement le graphiste publicitaire le plus talentueux de sa génération dans les années 1930 mais un artiste ayant joué un rôle clé à la Libération en 1944, en fédérant les nouveaux peintres de l’École de Paris.

Il ne fut pas seulement l’artiste immigré le plus charismatique et convoité du petit écran dans les années 1970, la vedette des petits ronds et petits carrés.

Il n’a pas seulement célébré un art populaire affranchi de la classe bourgeoise fortunée.

Vasarely a fait bien plus : Il s’est proposé d’exfiltrer la peinture. Elle ne devait plus seulement quitter le chevalet, mais quitter, même, les musées, pour se projeter sur les façades de la cité, comme autrefois, lorsque les palais à la Renaissance rayonnaient sur la place publique, à la vue de tous, à la vue du commun des mortels et de Dieu.

Alors que les Trente Glorieuses apportaient leur série de cadeaux empoisonnés, alors que le 1er décembre 1955, on inaugurait au journal télévisé de 20h le HLM d’Ivry jusqu’à la visite des sanitaires, Vasarely avait fêté au printemps l’ouverture de l’exposition pilote de sa carrière, « Le Mouvement », à la galerie Denise René, dans les beaux quartiers, rue La Boétie.

Victor Vasarely allait forcer une de ces rencontres qui n’arrivent que dans la quatrième dimension. Puisque les pouvoirs publics avaient lancé les grands chantiers et le gros œuvre aveuglément, irréversiblement, l’artiste se démultiplierait grâce à un art d’ubiquité, la plasticité vasarélienne.

Un art préfabriqué qui lui survivrait comme les manuscrits ont survécu à leurs auteurs à compter du siècle de Gutenberg, et dont la grande imprimerie du futur serait : une fondation. Immense réservoir de formes et de couleurs, un alphabet plastique à la disposition des autres peintres mais surtout de celle des urbanistes, architectes, chercheurs en sciences humaines, de son temps et d’après.

Parcours d’un peintre en révolution, de la prime enfance aux pas de géant dans l’Op Art…

 

Vasarely est né le 9 avril 1906 à Pécs, en Hongrie. Le petit Gyözö Vásárhelyi, de son nom originel, passe son enfance dans l’actuelle Slovaquie, des endroits peuplés de casinos et de centres hôteliers où travaille son père.

Les jours sont heureux, radicalement troublés cependant par l’arrivée de la guerre et un exode forcé à Budapest en 1919, à 13 ans. À cet âge, Vasarely a déjà l’esprit d’étude, une maîtrise du dessin, le goût de la sérialité ; rangées de fleurs, d’insectes et de coquillages, de conserves et de confitures de sa mère à la cuisine, ainsi qu’un intérêt pour le folklore hongrois constellé de fleurs colorées sur les vêtements paysans, sans oublier le rouge, blanc et vert du drapeau national.

Sur le plan psychologique, il est tout autant mû par le contraste, capable de passer de «la mélancolie la plus noire à la gaieté la plus folle».

Dès le plus jeune âge, Victor Vasarely se sent relié à toute l’humanité, confie-t-il rétrospectivement.

Dans un parc public de Budapest, il découvre un pavillon en forme de rotonde, orné à l’intérieur d’une fresque circulaire célébrant l’entrée conquérante du chef du peuple magyar. Le garçon aux attitudes méthodiques tient ici les pièces détachées de son rêve, un trompe-l’œil aux dimensions monumentales : le jeune adulte a trouvé ce qui le meut.

En 1925, il remporte le baccalauréat puis s’inscrit en faculté de médecine, et, interchangeant les cours, s’invite aux leçons de dessin d’anatomie ; études de muscles, squelette, système nerveux, système sanguin. Ces études seront détruites sous les bombardements de 1944.

Après deux ans, soucieux d’accéder à une indépendance financière, il délaisse l’université et devient archiviste, aide-comptable et dessinateur d’encarts publicitaires dans le laboratoire pharmaceutique qui l’embauche, avant d’intégrer une firme allemande de roulement à billes.

En feuilletant un jour une revue, Vasarely s’arrête sur une annonce alléchante. «L’Atelier», dit le Mühely en hongrois, promet de donner un métier aux futurs artistes sur la base d’un enseignement des arts les plus avancés de l’époque. Son unique professeur, Sandor Bortnyik, enseigne l’avant-garde constructiviste telle qu’on la divulguait au Bauhaus, la réputée école d’arts appliqués, fondée par Walter Gropius à Weimar en 1919, et qui a vu passer des âmes aussi célèbres que Vassily Kandinsky ou Paul Klee.

Fin de l’art figuratif, fin de l’anecdote, fin du romantisme en peinture, fin du vedettariat…

La priorité est aux recherches abstraites, à la géométrisation des plans, à l’apprentissage des techniques et des supports, règle, compas, équerre en main.

C’est au Mühely, dans ses très modestes locaux, n’accueillant que peu d’élèves, que le bel Hongrois fait la rencontre de Claire Spinner, qu’il épousera en 1931, et qui collaborera à beaucoup de ses travaux.

En 1930, Vasarely, comme tant d’artistes, émigre à Paris, où Claire le rejoindra un an plus tard et où ils auront la surprise bien assumée d’un fils, André, un futur médecin, naissance suivie en 1934 de celle de Jean-Pierre, qui deviendra l’artiste Yvaral et le père de Pierre Vasarely.

C’est une vie de bohème qui est menée par le jeune immigré, installé d’abord rue des Écoles, Rive gauche, puis à Montrouge avec un premier atelier, suivi par l’ouverture d’une agence de publicité.

Vasarely, en effet, a pu poursuivre ses activités publicitaires dès son arrivée, en se faisant remarquer, et recruter, par trois agences de prestige ; Havas, Devambez, et Draeger où il manie l’aérographe, un pistolet à peindre qui diffuse la matière comme une fine brume, sans facture ni trace de la main…

Ce métier alimentaire qui rapporte, ouvre expressément la voie à ses recherches de plasticien, et à ses premiers constats sur la psychologie humaine et la façon dont les cerveaux humains peuvent absorber les images et traiter l’information visuelle.

Le huitième art lui inspire une théorie de l’art pour tous, sur laquelle il revient en 1977 : « La variété extrême de sa forme (affiches, affichettes, panneaux-réclames, calendriers, encarts, couvertures de revues, dépliants, prospectus, annonces, etc.) amène le dessinateur publicitaire à mettre une sourdine à sa personnalité .

Le graphiste fait feu de tout bois, et c’est dans les allers et retours du métro parisien, en 1938, lorsqu’il doit longer, à la station Denfert-Rochereau, d’interminables couloirs au sol et aux murs pavés de carreaux blancs qu’il remarque les mille fissures de la faïence, des craquelures irrégulières qui seront à l’origine dix ans plus tard de dessins de lignes fines avec effets de rupture et de décrochage exécutés de mémoire, à la plume.

Le 3 septembre 1939, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne. Victor et Claire n’oublient pas qu’ils sont des étrangers. Tout au long des hostilités, l’artiste va chercher à protéger sa famille et continuer à exercer son métier pour la nourrir. Il la fait installer dans le Lot à Saint-Céré, et décide, quant à lui, de rester à Paris, où il fréquente le Café de Flore et les Deux Magots où se rendent Picasso, Jean-Paul Sartre, Simone Signoret, et une jeune femme brune volubile et passionnée qui sera décisive : Denise René.

En visitant les locaux de la maison de couture de sa tante rue La Boétie, Vasarely prendra connaissance de la technique de la « ballotine », une peinture souple qu’on applique au cornet et qu’on sèche avec de la poudre de verre, au rendu lumineux et d’une brillance phosphorescente.

Les temps sont durs à Arcueil. Avec Denise, ils refont le monde, et songent, sur une idée de Victor, à ouvrir une galerie d’art dans l’immeuble familial de la rue La Boétie.

À cause de l’Occupation, Vasarely est contraint de fuir et d’emménager chez un paysan dans la Nièvre jusqu’en 1943. Le retour parisien s’effectue au début de l’année 1944, la guerre n’est pas finie que Vasarely est déjà en train d’encadrer ses Études graphiques, un corpus d’œuvres qui doit constituer l’exposition d’inauguration de la galerie Denise René.

Vasarely crée et soutient ses pairs aussi avec l’accrochage de Peintures abstraites de ses amis artistes à la galerie Denise René,

Depuis plusieurs années, Vasarely manipule des calques transparents imprimés de tracés graphiques qu’il superpose de manière à obtenir des reliefs en mouvement connus sous le nom de moirage.

Cette recherche est à la base de ses Tableaux profonds cinétiques.

Nous sommes en 1959 et Victor Vasarely devient citoyen français. Cette même année, il dépose le brevet de « L’Unité plastique », qui soude la base du principe de ses petits ronds et petits carrés en passe de devenir si populaires.

Il s’agit de poser là les jalons de son Alphabet plastique. Il s’agit de travailler à partir d’unités de deux types qui s’emboîtent : un « fond » toujours carré accueille une « forme » qui peut être un cercle, une ellipse, un rectangle, un triangle, un losange, un carré (de taille inférieure au carré du fond).

Ces petites pièces se comparent volontiers aux atomes d’hydrogène composés d’un noyau positif et d’un électron négatif, lesquels génèrent tension et champ magnétique ; la science n’est jamais quittée des yeux, avec Vasarely… Cet alphabet donne ainsi naissance à des compositions en damier où chaque fond fait office de carré et chaque forme de figure, selon un abécédaire systématique.

En 1959, les fonds possibles sont deux rouges, deux jaunes, deux violets, trois bleus, trois verts, du blanc, du noir, du gris ; et les figures, très précisément, deux carrés, deux cercles, deux losanges, deux demi-disques, deux doubles bâtonnets, six ellipses ainsi qu’un triangle. Le potentiel combinatoire est donc infini.

En 1961, Vasarely et sa famille déménagent à Annet-sur-Marne. L’atelier aux allures d’usine emploie plusieurs assistants qui exécutent manuellement des « prototypes-départs », c’est-à-dire des programmes d’œuvres, qui sont encodés via un système de grilles de numérotation sur le dessin des œuvres, comme un code-couleur sur un patron, avec des chiffres à l’endroit des fonds carrés.

En 1964, l’Op Art pour « optical art », nommé ainsi Outre-Atlantique par un journaliste du Times, envahit peu à peu en Europe comme à New York magasins de vêtements, plateaux de télévision, grandes enseignes, vitrines, kiosques à journaux, revues… Assez vite, à Paris ou sur la cinquième avenue, le Prisunic, les Galeries Lafayette, les boutiques de Pierre Cardin, Paco Rabanne, Courrèges, l’émission « Dim Dam Dom. » et autres facéties télévisuelles de Jean-Christophe Averty, mais aussi le cinéma.

Ces artistes produisent au seuil de Mai 68 des effets esthétiques inédits et un discours politique d’insoumission. Vasarely devient le meneur d’une vogue qui révolutionne l’expérience artistique : ne plus s’ennuyer au musée, et même s’y amuser grâce à des peintures à illusions d’optique, des objets instables, faits de Plexiglas, de métal, de stroboscope, de jeux motorisés de lumière, et à la manière de Luna Park dans les Biennales d’art.

À New York, une rétrospective « The Responsive Eye » (« l’œil qui réagit ») consacre internationalement l’Op Art : Vasarely y est le maître suprême, avec Josef Albers. Mais quoique couronné de tous les succès, il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, car à ses yeux seule la moitié a été parcourue. En 1966, il est mûr : mûr pour rédiger son projet de fondation…

En 1971, lorsque Félix Ciccolini débute son second mandat de maire d’Aix-en-Provence, il doit administrer une ville en pleine mutation, il tire alors profit de l’installation de nouveaux établissements d’enseignement supérieur, du développement industriel que connaît le Sud-Est de la France.

Aix-en-Provence multiplie les animations estivales, telles que le Festival de musique lyrique (créé en 1948) et se présente comme une ville d’art et de musées, est alors dotée de sept musées, soit un musée pour 25 000 habitants quand Paris en compte 1 pour 31 700 habitants ; leur fréquentation est en augmentation, en grande part du fait du tourisme culturel.

Au début des années 1970, Aix-en-Provence est donc une des villes les plus dynamiques de l’espace français.

La population a presque triplé en trente ans, passant de 54 000 habitants en 1954 à 137 000 en 1982. Toute la “cuvette” où est construite Aix-en-Provence est désormais investie ; la ville déborde au-delà de ses limites naturelles afin de permettre la construction d’ensembles immobiliers. Ils sont édifiés sur les hauteurs, au nord, dans les années 1960-70, puis à l’ouest, jusqu’au quartier du Jas de Bouffan.

Le 16 avril 1969 est prise la décision de réaliser une Zone d’Aménagement Concerté au Jas de Bouffan. Il s’agit de construire 5075 logements moyens, des écoles, commerces, un Collège de 120 élèves, un stade et un centre omnisports sur 169 hectares de terrain.

Aix-en-Provence vivait jadis presque essentiellement repliée sur son passé et ses traditions. Elle est aujourd’hui plus ouverte au monde des activités industrielles et commerciales.

Il fallait éviter la sclérose, mais aussi de faire obstacle au gigantisme des villes dortoirs tout en sauvegardant l’attrait culturel et touristique.

Pour une institution d’avant-garde, il fallait construire un bâtiment ultra-moderne. Rapidement, Victor Vasarely arrête son choix sur Aix-en-Provence, dicté par le riche passé d’Aix-en-Provence, ses activités artistiques et architecturales, son festival réputé, son réseau autoroutier exceptionnel, et enfin, mon admiration pour Cézanne.

Victor Vasarely accepte donc la proposition de la municipalité d’Aix-en-Provence qui, après avoir délibéré les 30 mars 1973, consent à céder à la Fondation les terrains sur lesquels sont édifiés ses bâtiments.

En décembre 1973, la première pierre est posée. A cette occasion, Victor Vasarely dépose dans les fondations du bâtiment un message dont il ne livre que les premiers mots : « De Cézanne à Vasarely : nous serons dignes. »

Jean Sonnier et Dominique Ronsseray, architectes des Monuments historiques sont chargés par Victor Vasarely de réaliser le projet qu’il a personnellement conçu.

Il choisit de construire un bâtiment comprenant seize hexagones de 14 mètres de largeur entre côtés opposés. Il s’inscrit donc dans un rectangle de 87 mètres de long sur 40 mètres de large.

Au rez-de-chaussée, sept alvéoles, de 11 mètres de hauteur, accueillent ses quarante-deux intégrations architectoniques. Le reste est constitué d’une salle de conférence–auditorium, d’une bibliothèque, et de réserves.

A l’étage, Vasarely prévoit d’installer des bureaux et des ateliers pour qu’y soient réalisées de nouvelles recherches ou conçues de nouvelles intégrations.

La construction comprend de nombreuses difficultés techniques. Composée de plaques d’aluminium anodisées blanc ou noir, la façade reprend le motif de l’unité plastique. Chaque panneau décoratif couvre une surface de 70 m2. L’agencement et l’esthétique doivent être parfaits pour que s’opère l’effet optique désiré par le plasticien.

Tout en innovant sur l’aménagement de l’espace, l’éclairage, l’utilisation des matériaux, il marque sa volonté de s’inscrire dans une histoire, une culture, en imposant la construction d’un escalier sur le modèle de ceux des châteaux Renaissance de Blois ou de Chambord.

Inscrit dans un hexagone, l’escalier à double révolution relie le rez-de-chaussée à la partie du premier étage ouverte au public. Chacune des deux rampes se découpe en trois volées de marches successives, avec deux paliers intermédiaires. Le garde-corps, lui, est résolument moderne dans le choix de ses matériaux : panneaux métalliques et plaques de verre.

La première partie des travaux est réceptionnée en novembre 1975. Et déjà, c’est vers la réalisation des quarante-deux intégrations et l’aménagement intérieur du bâtiment que se tourne son créateur.

Les plans sont prêts et la répartition des œuvres est déjà pensée de façon à permettre au visiteur de suivre une progression dans la découverte des couleurs, des matériaux, des jeux optiques et cinétiques, de façon à stimuler sa participation, mais aussi de manière à le déstabiliser, à le perdre, physiquement, dans cet espace saturé de couleur et aux limites sans cesse questionnées.

Comme pour la construction, Vasarely ne laisse rien au hasard en ce qui concerne l’aménagement intérieur : pierre marbrière des Alpes, matériel de projection de pointe pour l’auditorium, sonorisation des espaces d’exposition, insonorisation des bureaux et des ateliers de recherche… Les banquettes et les bancs sont commandés au designer Veranneman, qui en échange fait réaliser par Victor Vasarely une sculpture et un portail pour sa propre Fondation.

L’inauguration de la Fondation a lieu le 14 février 1976 en présence de Jacques Chirac, premier ministre, Michel Guy ministre de la culture, Felix Cicoolini, maire d’Aix-en-Provence et Claude Pompidou.

Le bâtiment n’appartient à aucun courant architectural même si son esthétisme renvoie aux années soixante – dix, tant pour le choix des matériaux (verre, aluminium anodisé), que pour la volonté dont il témoigne de rapprocher architecture et design technologique.

Traité comme une sculpture lumino-cinétique monumentale, c’est un exemple remarquable de synthèse entre architecture et arts plastiques.

VISITER LE SITE DE LA FONDATION VASARELY

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